Quand la nuit disparaît, la nature dérègle
À Bruxelles, il ne fait plus vraiment nuit. Les lampadaires, les vitrines et les enseignes prennent le dessus. Derrière ce confort apparent, c’est tout un équilibre naturel qui est bousculé. Insectes, oiseaux, humains…personne n’y échappe.

Il suffit de lever les yeux un soir à Bruxelles pour le remarquer : la ville brille même à minuit. Le ciel n’est plus noir mais orangé, comme un halo permanent. C’est ce qu’on appelle la pollution lumineuse.
La Belgique fait d’ailleurs partie des pays les plus éclairées d’Europe. La lumière augmente chaque année, doucement mais sûrement. Un détail invisible pour nous, mais qui bouleverse complètement le monde vivant.
« Il n’existe pratiquement plus de nuit noire à Bruxelles », explique Anja Van Campenhout, responsable des projets chez Bruxelles Environnemment.
ANJA VAN CAMPENHOUT
» Même dans certains parcs, il reste des zones éclairées toute la nuit. » – Anja Van Campenhout, Responsable de projets chez Bruxelles Environnement.
La nuit s’éteint, les insectes aussi
Les insectes sont les premiers touchés, Attirés par les lampadaires, ils tournent autour jusqu’à mourir d’épuisement. » On a des études qui montrent qu’un seul lampadaire peut tuer jusqu’à 150 insectes par nuit d’été », ajoute Anja. Cela paraît énorme, mais multiplié par des milliers de lampadaires dans une ville comme Bruxelles, cela donne une idée des pertes.
Derrière ces disparitions, c’est une chaîne entière qui s’effondre : moins d’insectes, c’est moins d’oiseaux, moins de pollinisateurs, et donc moins de fleurs et de fruits. Même les chauves-souris changent leurs habitudes : elles évitent carrément les zones éclairées.
Un soir d’été, dans un parc à Woluwe, des promeneurs racontent avoir vu des chauves-souris changer brutalement de trajectoire à cause d’un lampadaire. Ce genre de petite scène montre bien que la lumière change tout, même nos nuits les plus calmes.
« Les végétaux ont besoin de la lumière pour réaliser la photosynthèse. En cas d’éclairage
constant, certaines espèces ne se seraient plus en mesure de se développer. D’autres
éprouveraient des difficultés à se développer normalement.
Les parties des arbres fortement éclairés par un éclairage artificiel nocturne peuvent garder
leurs feuilles plus longtemps. Ces arbres peuvent subir des dégâts occasionnés par les gelées d’automne. » https://document.environnement.brussels/opac_css/elecfile/if_biodiv_pollution_lumineuse_fr.pdf
C’est quoi, la pollution lumineuse ?
La pollution lumineuse, c’est l’excès de lumière artificielle la nuit. Elle vient surtout des lampadaires, des phares de voitures des enseignes et des bâtiments éclairés. Ses conséquences sont multiples :
- Ciel nocturne masqué par un halo lumineux,
- Perturbation des animaux nocturnes,
- Gaspillage d’énergie,
- Impacts sur la santé humaine.
En Belgique, plus de 95% de la population vit dans des zones où on ne voit plus la voie lactée.
Un problème mondial, mais qu’on ignore souvent.
Beaucoup pensent que la pollution lumineuse concerne surtout les astronautes qui ne voient plus les étoiles. En fait, c’est beaucoup plus large. Selon une étude publiée dans Nature, la pollinisation nocturne peut être réduite de 62% sous un éclairage artificiel.
Cela veut dire que des plantes ne se reproduisent plus normalement, que des écosystèmes s’appauvrissent, et à long terme, ça touche même le climat.
« On ne se rend pas compte à quel point l’obscurité est une ressource écologique », Insiste Anja. La nuit, ce n’est pas seulement « rien ». C’est un temps nécessaire pour les animaux, pour les plantes, et aussi…pour nous.
La lumière, un ennemi invisible pour notre santé
On oublie souvent que les humains subissent aussi ces effets. La lumière artificielle perturbe notre sommeil. Elle bloque la production de la mélatonine, l’hormone qui nous aide à nous reposer. Résultat : plus de fatigue, des difficultés de concentration, et parfois même du stress ou de l’anxiété.
Plusieurs études de santé publique montrent que vivre près d’un axe très éclairé augmente les risques de troubles du sommeil chronique. » j’ai dû investir dans des rideaux occultants parce que j’ai un lampadaire juste devant ma fenêtre », raconte Sophie, une étudiante bruxelloise. « Sinon, impossible de dormir correctement. »
Au-delà du sommeil, il y’a aussi la question de l’énergie gaspillée. Chaque lampe qui reste allumée inutilement consomme de l’électricité et donc contribue aux émissions de CO2.
Et Bruxelles dans tout ça ?
Depuis quelques années, la ville de Bruxelles et certaines communes tentent des expériences. Des lampadaires LED réglables, des coupures partielle la nuit, ou des lumières plus « douces ».
On travaille depuis quelques années sur ce qu’on appelle une trame noir,
Anja Van Campenhout
l’idée c’est de laisser des couloirs d’obscurité pour que les animaux puissent circuler. » explique Anja.
Une nouvelle génération qui demande le noir
Chez les jeunes, la question fait de plus en plus débat. Certaines associations étudiantes à Bruxelles ont déjà interpellé les communes sur le sujet. Elles demandent des quartiers plus calmes et plus sombres, pour préserver à la fois la biodiversité et la qualité de vie.
» C’est bizarre, mais moi j’aimerais parfois qu’il fasse vraiment noir, même dans la campagne on voit des halos lumineux à l’horizon. » Lucas, 19 ans, étudiant en communication.

Protéger la nuit, c’est protéger la vie
La solution n’est pas de plongé Bruxelles dans le noir complet. C’est d’éclairer mieux, orienter les lampadaires vers le sol, baisser l’intensité, couper là où ce n’est pas utile.
» Si j’avais carte blanche, je généraliserais la trame noir et j’imposerais des extinctions partielles après minuit dans les zones résidentielles », conclut Anja.
Finalement, revenir à la nuit, ce n’est pas un pas en arrière. C’est un pas de côté, pour retrouver un équilibre. Et rendre aux habitants comme aux animaux ce dont ils ont besoin : un peu d’obscurité, tout simplement.
« Si j’avais carte blanche, je généraliserais la trame noire et j’imposerais des extinctions partielles après minuit dans les zones résidentielles », conclut Anja.

« Étudiante en communication, intéressée par les enjeux environnementaux. »
